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Penser l’économie circulaire, c’est penser la « mort heureuse ».

Dernière mise à jour : 8 mai 2021



L’économie linéaire a l’immense avantage de nous faire croire en l’éternité. Notre modèle de pensée économique est basé sur la fuite en avant, sur une croissance sans fin. Nous fantasmons sur l’idée d’une création de richesse éternelle qui comblerait tous nos besoins et tous nos désirs. Nos réunions sont pleines de présentations PowerPoint qui montrent fièrement nos objectifs de croissance, nos courbes de chiffres d’affaires tournées vers le haut. L’univers est sans limite.


Penser l’économie circulaire, c’est penser les finitudes de la Terre. Et penser les finitudes, c’est penser la mort. Penser la mort, c’est aussi penser le sens de la vie. Cela peut paraître conceptuel et anecdotique, voire rébarbatif. C’est en fait essentiel. Car penser l’économie circulaire, c’est penser les limites de notre existence et le sens de cette existence. C’est penser aux générations qui nous suivent. C’est penser à notre disparition et à notre responsabilité sur ce court instant de nos vies. Il n’y a plus de « main invisible », chère à Adam Smith, qui vient équilibrer l’ensemble. Il n’y a plus « d’équilibre des égoïsmes ». Il n’y a plus d’espace infini de conquête. Il y a en réalité une responsabilité pleine et entière à assumer, une finitude et un déséquilibre mortel à maîtriser.


Intéressant de noter que l’épanouissement de l’économie linéaire va de pair avec la diminution du sens religieux au sein de notre civilisation occidentale. Comme si le fait de ne plus être relié à un sens qui nous dépasse nous autorise à polluer sans entrave, à consommer aujourd’hui les ressources nécessaires à la survie de nos enfants demain, à détruire le monde pour satisfaire nos egos narcissiques plutôt que penser notre relation aux autres et au monde. Les indiens d’Amazonie sont parfois exhibés sur nos plateaux TV pour secouer nos consciences, pour nous rappeler avec nostalgie ce lien systémique que nous avons perdu avec la nature. Mais peu nous importe. Puisque seules comptent notre performance immédiate et notre jouissance sans entrave.


Le débat sur l’économie circulaire se concentre également trop souvent sur les solutions d’ingénierie industrielle et sur les ajustements réglementaires. Bien sûr, tout cela est important. Mais l’essentiel n’est pas là. L’économie circulaire n’est pas un simple ajustement technique et juridique de notre modèle de production. C’est d’abord et avant tout l’affirmation d’une nouvelle conscience qui permet de penser la vie humaine dans son espace de survie. L’économie circulaire demande à penser le monde dans sa durée, sur le long terme, au-delà de nos vies. Penser l’économie circulaire, c’est donc penser au sens que l’on donne à sa vie, à ses actions, à ses décisions, à sa part de responsabilité, à l’héritage que nous recevons, à celui que nous transmettons, à la finitude de sa vie et, par ricochet, à sa mort.


Cela vaut également pour l’entreprise qui doit penser son rôle, sa responsabilité, sa stratégie de développement et d’innovation dans ce nouveau cadre de valeurs. Ce que l’on appelle aujourd’hui pompeusement sa « mission sociétale ».


Autant dire que la tâche est ardue. Tout d’abord, parce que, pour être honnête et juste, c’est bien la première fois de toute son histoire que l’Homme est confronté à une telle responsabilité, à devoir gérer les limites réelles de son espace de survie. La Terre a toujours semblé infinie dans ses capacités à répondre aux besoins humains. Mais depuis une vingtaine d’années, nous découvrons une inversion des courbes vitales, symbolisée par le « Earth Overshoot Date » qui se dégrade de jour en jour.


Tout dans notre système de pensée s’oppose également à cette démarche. Nous fuyons l’idée de mort comme la peste, oubliant cette échéance morbide à travers une frénésie de consommations immédiates qui brouillent nos consciences. Le « système » financier refuse par ailleurs toute idée de responsabilité élargie qui viendrait pénaliser ses bénéfices immédiats, qui viendrait minorer ses bénéfices du futur. La peur du chômage et la peur de l’exclusion font le reste. Et comme le dit si bien J-C Ruffin dans un de ses livres : « 10 ans c’est déjà l’éternité pour un homme » !


Après des millénaires de pénuries de maladies et de guerres, la civilisation Occidentale a voulu créer les conditions d’une paix durable à travers la croissance économique et le partage des richesses. Mais le modèle s’essouffle et nos valeurs de court terme sapent les conditions de notre avenir. Il ne s’agit pas de remettre en cause les bienfaits de cette ambition, mais de repenser la création de richesse dans le cadre des finitudes du monde, pour préserver et prolonger cette paix.


Pour réussir cette « invention » et cette « inversion », il ne s’agit pas seulement de penser en termes d’ingénieurs et d’économistes, mais également de psychologues et de philosophes. Car il ne s’agit plus d’être heureux seuls, mais d’être heureux ensemble, aujourd’hui et demain, trouvant la force et le courage de repenser nos vies face au monde et face à l’éternité.


Le levier pédagogique est donc essentiel. Car c’est notre « logiciel » de raisonnement qui doit être bousculé et bouleversé. Les écoles d’enseignement supérieur et les universités devraient toutes créer des chaires d’économie circulaire. Les cours de management devraient tous inviter à imaginer de nouveaux services, de nouveaux produits et de nouveaux « modèles » de croissance, à accompagner les processus d’innovation disruptive et de transformation organisationnelle. Les cours de finance devraient tous imaginer de nouveaux indicateurs de performance pour aider les investisseurs et les actionnaires à accompagner ces évolutions en en retirant le meilleur profit. Nos architectures urbaines devraient toutes intégrer ces besoins pour faciliter l’émergence des activités de service dans nos collectivités. La notion de performance devrait être élargie dans toutes nos analyses stratégiques, incluant les concepts de « création de valeur partagée » (Porter, Harvard, 2013) qui ne sont pas des réductions mais des augmentations de richesse pour tous. Etc, etc…


Nous pourrions ainsi être fiers de créer les conditions du bonheur sans impact environnemental négatif, de transmettre à nos descendants un capital de survie équivalent ou supérieur à celui donné par nos ascendants, d’éveiller ainsi nos consciences et d’alimenter cette chaîne de transmission du savoir et du pouvoir qui existe depuis l’aube des temps.


En ces temps de mémoire des « anciens », également à l’instar de Sisyphe et de Camus, nous pourrions alors imaginer une vie et une mort heureuses !...


WiseBusiness21, Mai 2021

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